Vittel, Contrex, Hépar, Perrier, St-Yorre… Réputées les plus pures et vitrines de la France à l’étranger, les plus grandes marques d’eau en bouteille ont reçu depuis de nombreuses années des traitements non conformes à la réglementation, notamment en raison de contaminations sporadiques d’origine bactérienne ou chimique. Autorisées sur l’eau du robinet ou sur les « eaux rendues potables par traitements », ces techniques de purification sont interdites sur les « eaux de source » ou « eaux minérales naturelles ». Celles-ci sont, en effet, censées provenir de ressources souterraines préservées et ne doivent ainsi pas subir de désinfection.
L’enquête conduite conjointement, depuis plusieurs mois, par la cellule investigation de Radio France et Le Monde met au jour l’utilisation généralisée de tels traitements non conformes, avec des millions de consommateurs non informés voire floués depuis de nombreuses années, et des milliers d’emplois en jeu dans toute la France. Selon nos informations, un tiers au moins des marques françaises d’eau de source et d’eau minérale auraient été, ou seraient encore, en délicatesse avec la réglementation.
Informé depuis août 2021 des pratiques illicites du groupe Nestlé Waters (Vittel, Hépar, Perrier, etc.), le gouvernement a, jusqu’à présent, tenté de gérer la crise avec la plus grande discrétion. L’affaire a été suivie au plus haut niveau, avec la décision prise, le 22 février 2023, au terme d’une réunion interministérielle, d’assouplir la réglementation par voie d’arrêtés préfectoraux. Et ce, afin d’autoriser des pratiques de microfiltration réputées jusqu’ici non conformes et de permettre ainsi la poursuite de l’exploitation de plusieurs sites.
Contaminations délibérément cachées aux autorités
La conformité de ces assouplissements réglementaires à la loi européenne est toutefois sujette à caution. Selon nos informations, la France n’a informé de la situation ni la Commission européenne ni les Etats membres, comme elle était supposée le faire en vertu de la directive 2009-54-CE.
Interrogée à la mi-janvier par écrit, Nestlé Waters – dont la totalité des marques étaient concernées – n’a répondu aux sollicitations du Monde et de Radio France que le dimanche 28 janvier. Sachant que l’information serait rendue publique, la firme a préféré prendre les devants pour reconnaître ses pratiques du passé, en les édulcorant, lundi, dans Les Echos. « Il y a eu des erreurs, conduisant à des enjeux de conformité, a déclaré au quotidien économique Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters. Tout en garantissant la sécurité alimentaire, nous avons utilisé des mesures de protection qui n’étaient pas en ligne avec le cadre réglementaire ou avec son interprétation. » La firme invoque la nécessité « de surmonter l’impact du dérèglement climatique et la montée du stress hydrique qui affectaient en partie la minéralité de ses eaux », jamais la présence de bactéries ou de métabolites de pesticides dans ses eaux brutes.
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