Pendant six mois, l’état-major d’Anticor aura attendu le renouvellement de son agrément. Mercredi 27 décembre, au lendemain de la date butoir légale, nulle trace dans le Journal officiel de ce sésame qui permettait depuis 2015 à l’association anticorruption d’agir efficacement en justice dans les affaires d’atteinte à la probité, notamment en cas d’inaction du parquet.
L’absence de réponse de l’exécutif constitue un refus implicite d’agrément que l’association va contester devant le tribunal administratif, au prix de nouveaux délais. « Cette décision ne nous surprend pas malheureusement, car nous sommes bien conscients que nos actions contre la corruption agacent profondément le gouvernement. Elle nous attriste car elle constitue une entrave à l’action de centaines de bénévoles qui luttent partout en France contre les abus de pouvoir », a réagi Elise Van Beneden, la présidente de l’association engagée dans 161 enquêtes judiciaires en France.
« C’est une décision révoltante qui est l’exact reflet d’un Etat qui craint l’action menée par la société civile pour lutter contre la corruption et le ramène à son obligation d’exemplarité, estime, pour sa part, Vincent Brengarth, avocat d’Anticor. C’est un cadeau de Noël pour les corrupteurs. »
Le ministère des affaires étrangères a endossé in extremis la responsabilité de cette décision après la signature, le 23 décembre, d’un décret de déport par Elisabeth Borne. Auprès du Monde, une source diplomatique considère que la décision du Quai d’Orsay « ne remet aucunement en cause la détermination de la France à lutter contre la corruption », tout en rappelant que « Mme Colonna s’est vue confier ce dossier » seulement trois jours plus tôt.
Saga politico-judiciaire
La première ministre, qui n’a pas réagi, est susceptible d’être concernée par deux dossiers portés par Anticor devant la justice : celui de la tour Triangle à Paris, lorsqu’elle était directrice générale de l’urbanisme à la Mairie de Paris, ainsi que celui du protocole d’accord signé en 2015 entre l’Etat et les concessionnaires d’autoroutes. Elle avait mené ces négociations en tant que directrice de cabinet de Ségolène Royal, aux côtés d’Alexis Kohler, alors directeur de cabinet du ministre de l’économie Emmanuel Macron, depuis devenu secrétaire général de l’Elysée.
Ce refus implicite de renouveler l’agrément représente l’épilogue d’une saga politico-judiciaire entamée en août 2020. Cet été-là, Anticor demande le renouvellement de ce sésame au ministère de la justice. Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, se déporte trois mois plus tard auprès des services du premier ministre : depuis octobre 2020, il est visé par une plainte d’Anticor pour « prise illégale d’intérêts ». Le renouvellement de l’agrément est annoncé, par arrêté du premier ministre Jean Castex, le 2 avril 2021, une heure et demie avant la fin du délai.
Il vous reste 49.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.