Le 19 décembre 2020, Donald Trump a diffusé vingt et un tweets. Une production banale, selon ses normes. L’un d’eux est entré dans l’histoire, envoyé à 1 h 42 du matin. Le président sortant y répétait qu’il était « statistiquement impossible d’avoir perdu l’élection 2020 ». Il ajoutait : « Grande manifestation à Washington le 6 janvier [2021]. Soyez-y, ce sera dingue ! »
Chauffés à blanc depuis deux mois, les partisans de Trump ont accueilli l’invitation avec enthousiasme. Militants de base, sites conspirationnistes et surtout milices d’extrême droite, Proud Boys et Oath Keepers : tous ont coché la date dans le calendrier. Un tweet en guise de feu vert pour empêcher la transition pacifique du pouvoir, le jour de la certification prévue de l’élection présidentielle au Congrès.
Mardi 12 juillet, lors de sa septième audition publique, la commission d’enquête de la Chambre des représentants s’est penchée sur les préparatifs de ce rendez-vous. Les tribunaux avaient rejeté 60 des 61 plaintes déposées par l’équipe de Trump au sujet de fraudes imaginaires. De nombreux conseillers à la Maison Blanche, dont Ivanka Trump et l’équipe des avocats, estimaient que le président sortant devait reconnaître sa défaite. « Dire que [la preuve des fraudes] était mince est probablement un euphémisme », a expliqué à la commission Jason Miller, conseiller de l’ex-président.
Pourtant, quelques heures avant le fameux tweet, une réunion orageuse – « déjantée », selon un témoin – a eu lieu dans le bureau Ovale, dans la soirée du 18 décembre 2020. Elle a duré six heures et fut animée de hurlements, d’insultes et même de menaces physiques, avant de se terminer à l’étage, dans la résidence. Les échos s’entendaient dans les couloirs.
Les invités imprévus étaient Rudy Giuliani, avocat du président, l’ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, l’avocate conspirationniste Sidney Powell, ainsi que Patrick Byrne, ex-patron de la société Overstock.com, tous très investis dans la campagne de dénonciation de l’élection remportée par Joe Biden. Ce petit groupe de conseillers extérieurs et informels était là pour nourrir les instincts les plus vils de Donald Trump. Ils avaient en main un projet de décret présidentiel, rédigé deux jours plus tôt. Il prévoyait la saisie par l’armée des machines à voter dans les Etats contestés.
Pas de décret, mais un tweet
Informé de ces visiteurs, le conseiller juridique de la Maison Blanche, Pat Cipollone, est arrivé en catastrophe, accompagné de son collègue Eric Herschmann. Il a découvert avec stupéfaction la petite assemblée. « Je ne comprenais pas comment ils étaient entrés. » Conseillers de l’extérieur, sans limites ni morale, contre conseillers de l’intérieur, distinguant encore dans la nuit trumpienne les principes d’un Etat de droit : ainsi s’enclencha l’empoignade.
Il vous reste 66.24% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.